L'Intelligence Artificielle (IA) est un marché dynamique et en constante évolution : il représentait 142 milliards de dollars US1 en 2022 et devrait atteindre pratiquement 2 000 milliards en 20301 .
Avec le développement rapide de ce marché, certaines entreprises pratiquent l'« IA washing ». L'IA washing consiste à utiliser l'IA de façon abusive à des seules fins promotionnelles et commerciales. Étant perçue comme une forte valeur ajoutée et n'ayant pas de définition claire, l'IA est associée par les consommateurs à une preuve d'innovation, de modernité et de performance.
En 2023, plus de 1000 entreprises2 ont mentionné l'IA dans leur rapport trimestriel contre seulement 36 en 2013.
Découvrez les utilisations de l'IA washing, des exemples de dérives en entreprise et ses impacts sur le crédit accordé à la technologie.
L'IA washing : utilisations et impacts
L'emploi abusif de l'IA auprès des investisseurs potentiels
Les investisseurs sont constamment à la recherche de start-ups qui proposent des technologies tendances.
Pour les convaincre d'investir, certaines d'entre elles n'hésitent pas à utiliser de façon abusive « l'IA » dans leur pitch : celles qui mentionnent le « buzzword » obtiennent entre 15% et 50%3 de financement en plus, en comparaison avec les autres start-ups technologiques. À titre d'exemple, sur 2830 start-ups3 en Europe rattachées à la catégorie « entreprises d'IA », seulement 1 5803 correspondent à cette description.
Parmi elles, certaines qualifient des systèmes d'IA alors qu'elles utilisent en réalité de simples algorithmes traditionnels. D'autres se présentent comme des « entreprises d'IA » alors qu'elles emploient en réalité une main d'œuvre à bas coût pour faire son travail. C'est le cas de la start-up californienne Kaedim4 qui affirme utiliser l'IA pour convertir les images 2D de ses clients en modèles 3D et cela « en seulement quelques minutes », une « conversion » qui, en réalité, est entièrement réalisée par des humains…
Une perte de confiance des consommateurs
Les consommateurs accordent une grande importance à la transparence et à la fiabilité des entreprises et 60% d'entre elles5 pensent que c'est le critère le plus important pour évaluer une marque.
Néanmoins, certaines entreprises n'hésitent pas à leur faire de « fausses promesses »6 autour des apports de l'IA et à intégrer le terme dans un discours flou. Parmi les principaux arguments qu'elles avancent : conquérir de nouveaux marchés, doubler son chiffre d'affaires, passer trois fois moins de temps sur la réalisation d'une tâche…
Pour éviter ces pratiques abusives, les entreprises doivent préciser en quoi l'IA permet de résoudre les problématiques rencontrées par les clients et l'illustrer par des exemples concrets. Elles doivent également expliquer de façon claire7 en quoi l'IA est un différentiateur par rapport aux autres offres présentes sur le marché.
Des exemples concrets d'IA washing
Coca Cola : l'IA au service de campagnes publicitaires
L'entreprise Coca-Cola n'a pas hésité à surfer sur le buzzword en lançant « Coca-Cola Y3000 » une version de sa boisson« co-créée avec l'IA8 » et vendue en « édition limitée ». Pour créer le buzz et augmenter les ventes, l'entreprise utilise l'IA comme un argument commercial en mettant en avant que son « goût unique » a été obtenu en partie, grâce aux « informations recueillies par l'IA ».
En parallèle, l'entreprise a mis à disposition un QR code sur la canette d'Y3000 à des fins promotionnelles. Après l'avoir scanné, les consommateurs ont accès à « Coca‑Cola Creations Hub », un site dédié qui leur permet de soumettre une photo de leur environnement extérieur et d'y apposer un filtre futuriste. Partagés par les consommateurs sur les réseaux sociaux8, ces contenus viraux contribuent à promouvoir la nouvelle boisson sur ces plateformes.
Enfin, l'entreprise Coca-Cola intègre « l'IA » dans son discours commercial (« goûtez le futur », « co‑créée avec l'intelligence artificielle », « une boisson inspirée du futur »…) pour promouvoir le caractère inédit de sa boisson alors qu'elle n'est pas la première entreprise à utiliser l'argument de l'IA sur ce marché. C'est aussi le cas de Vivi Kola avec son soda « Vivi Nova9 » en Suisse, Hell Energy avec sa boisson énergisante « Hell AI9 » en Hongrie, Beck's avec sa bière « Autonomous11 » en Allemagne…
Les dérives de l'IA : Amazon va encore plus loin
Certaines entreprises sont allées encore plus loin en exploitant des travailleurs invisibles pour servir l'Intelligence Artificielle (IA).
À titre d'exemple, Amazon a lancé en 2006 « Amazon Mechanical Turk (MTurk)12 ». Présentée comme « une marketplace de crowdsourcing », Mturk est en réalité une plateforme de mise en relation de « micro-travail » où les personnes inscrites sont « payées au lance pierre13 ».
Depuis la plateforme, des particuliers ont accès à des milliers de « tâches » répétitives, fastidieuses et à très faible valeur ajoutée (appelées Human Intelligence Tasks ou HIT) qui contribuent très souvent « au bon fonctionnement des algorithmes d'IA » : identification d'informations sur des images, classification, taggage…
Effectuées via internet, ces tâches ne requièrent aucune qualification et ne rapportent que « quelques centimes », réduisant ainsi les personnes inscrites à devenir « des forçats du clic11 ».
L'IA washing : ses impacts sur la technologie
Ces utilisations « abusives » de l'IA décrédibilisent la technologie qui est une véritable révolution dans de nombreux domaines : industrie, e-commerce, traduction, informatique…
Réduite à un argument commercial, l'IA est utilisée « partout » et perd ainsi son caractère différenciant et innovant sur le marché.
Il est dommage que de nombreuses entreprises pratiquent l'IA washing, car l'IA est une technologie puissante avec un fort potentiel de croissance. Au quotidien, elle peut apporter une réelle valeur ajoutée aux entreprises.
À titre d'exemple, certains éditeurs de solutions PIM (Product Information Management) intègrent des fonctionnalités d'IA dans leurs outils pour aider les entreprises à automatiser certaines tâches à faible valeur ajoutée, gagner en productivité dans la conception de leurs supports print et digitaux (fiches produit, flyers, catalogues, brochures…) et ainsi libérer du temps pour mieux se consacrer à leur cœur de métier.
1
Artificial intelligence (AI) market size worldwide in 2021 with a forecast until 2030. (2023, 6 octobre). Statista.
2
Zakharenko, H. (2023, 24 août). AI is so hot even KFC and Williams-Sonoma execs are talking about it. Washington Post.
3
Olson, P. (2019, 4 mars). Nearly half of all ‘AI startups' are cashing in on hype. Forbes.
4
Statista. (2023, 5 décembre). Share of consumers who believed that trustworthiness and transparency were the most important traits of a brand worldwide in 2021 and 2022.
5
Poisson, J. (2020, 21 janvier). Opinion | Pour en finir avec l' « IA washing » et l' « IA bashing ». Les Echos.
6
Gartner says AI technologies will be in almost every new software product by 2020. (2017, 18 juillet). Gartner.
7
Gayte, A. (2023, 16 septembre). Coca Goût IA : Coca-Cola sort un soda fait avec de l'intelligence artificielle. Numerama.
8
Jadoul, A. (2023, 18 septembre). Quand l'IA aide à créer une boisson. www.usinenouvelle.com.
9
L'IA, le nouvel ingrédient fétiche des marques de boissons pour abreuver la Gen Z. (2023, 15 septembre). ladepeche.fr.
10
Chadwick, J. (2023, 23 septembre). The beer of the future? MailOnline tastes one of the world's first beers designed by AI. Mail Online.
11
Orain, G. (2017, 22 mai). Sur Amazon Turk, les forçats du clic. Le Monde.fr.
12
Boulestin, R. (2023, 9 septembre). Micro-travail : l'autre forme d'auto-entreprenariat. Orange Professionnels.
13
Courrier International. (2023, 15 juin). Les petites mains d'Amazon utilisent l'IA pour des tâches censément réservées aux humains. Courrier International.